À Chiloé (Chili), l’avenir compromis de la pêche artisanale (Ouest-France)
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Les petits bateaux de pêche chilotes et leur long tuyau jaune pour la dangereuse pêche des coquillages et des algues.
L’île de Chiloé, à 1 200 km de Santiago du Chili, a des liens de coopération avec le Finistère depuis dix ans. La semaine dernière, le président du Conseil général s’est rendu sur place avec une mission politique pour découvrir cette île qui a beaucoup de similitudes avec notre département. Ainsi, la pêche artisanale y est très développée, mais son avenir est menacé.
La pêche est très artisanale et se fait sur de petites unités en bois de 9 à 14 m, avec un patron et 4 à 5 matelots. Les pêcheurs pratiquent la plongée au tuyau avec un compresseur, une technique très dangereuse. Ils récoltent palourdes, oursins et une algue, la luga.
« L’hiver, il y a beaucoup d’accidents. Et ils vont plonger de plus en plus profond, jusqu’à 30 à 40 m », s’inquiète le responsable du secteur à la mairie de Quellón. Le grand port du sud de l’île compte 4 000 inscrits maritimes qui débarquent 45 000 tonnes de produits de la mer quand les dix ports du Finistère en pêchent 60 000 tonnes. Les poissons, congres, bars et colins, sont pêchés à la palangre. Quellón vit à 60 % de la pêche. Mais pour combien de temps ?
Les sept familles
« Dans 15 ans, la pêche artisanale n’existera plus », tempête Alberto Millaquen. Ce représentant de l’association national des pêcheurs ne pratique pas la langue de bois dans un pays où le discours politique reste très prudent. Il dénonce un projet de loi qui obligera tous les pêcheurs à avoir une licence professionnelle. Un vrai problème, car leur niveau d’instruction est très bas. La loi les obligera aussi à avoir une assurance-vie. « Cela revient à leur interdire de pêcher au-delà de 65 ans, car personne ne voudra les assurer. » Les pêcheurs n’ont pas les moyens de se payer une retraite par capitalisation, comme nombre de Chiliens. Alors, ils travaillent jusqu’au bout.
Dans le collimateur d’Alberto Millaquen, il y a aussi la pêche industrielle. « Sept familles contrôlent tout, tous des amis de Piñera ! » Sebastián Piñera est le président du Chili élu en 2010. Un milliardaire ultralibéral qui passe ses vacances tout près de Quellón, dans l’immense parc privé de Tantauco qu’il s’est acheté.
Federico Klein Koch est, lui aussi, plutôt pessimiste sur l’avenir de la pêche artisanale. Cet ancien contre-amiral est le directeur des études de la très catholique fondation Condell. La fondation finance toutes les études des élèves des lycées maritimes (au Chili, le lycée va de la 3e à la terminale), dont l’Instituto del Mar, à Chonchi (1 120 élèves, dont 620 internes). Plus prudent ou plus patriote, il dénonce« les Russes, les Japonais qui ne respectent rien et pêchent tous les poissons avant qu’ils n’arrivent sur nos côtes ».
Le lycée de Bréhoulou
La plupart des élèves embarquent à la pêche industrielle ou vont travailler dans l’omniprésente salmoniculture. Seuls deux sur cent s’installent comme pêcheurs à leur compte. «Et ce sont des pêcheurs de baie, pas de haute mer», constate le directeur des études. La fondation voudrait créer une formation en deux ans de technicien supérieur notamment pour l’aquaculture. Mais les professeurs ne se précipitent pas pour venir sur cette île que nombre de Chiliens du continent adorent pour son côté authentique mais qu’ils jugent trop « plouc ».
Ce projet de Centre de formation technique à Chonchi intéresse le lycée de Bréhoulou de Fouesnant qui forme des BTS en aquaculture. Mais, à l’ambassade de France, on croit savoir que la Région des Lacs veut installer ce CFT à Castro, la capitale de l’île !
L’Instituto del Mar de Chonchi a eu des échanges avec le lycée maritime du Guilvinec. Un professeur, venu en Bretagne, a jugé « les criées très intéressantes », alors qu’aucun système de commercialisation n’existe à Chiloé.
La récolte des algues
Au nord de l’île, Ancud, la ville la plus importante (40 000 habitants), la moitié des 3 700 inscrits au registre des pêcheurs artisanaux (640 bateaux) se consacre à la récolte des algues. Historiquement, on pratiquait la pêche des huîtres en plongée. Mais le terrible tremblement de terre de 1960 a déstabilisé cette activité. Une réserve génétique a été créée mais elle est trop souvent la cible des braconniers.
Même situation dans les aires de gestion. L'État en a défini 37, dont 14 pour les ormeaux. «Seulement trois sont productives », explique le responsable de la pêche à la municipalité. Des bureaux d'études sont censés aider à la décision d'ouverture d'une aire de gestion. «Mais ce sont des économistes, pas des scientifiques. Ils mesurent l'aire et font la demande pour les pêcheurs auprès de l'État.»
La richesse d’Ancud, c’est un estuaire superbe, le Pudeto, où grouillent palourdes, huîtres et algues. « En été, 1 500 personnes y travaillent, poursuit le responsable de la pêche. L’hiver, elles n’ont plus de travail et se retournent vers nous. »
La récolte des algues est une activité rémunératrice. Les pêcheurs récoltent trois espèces d’algues. Tout d’abord le pelillo (gracilaria chilensis), dont on extrait l’agar-agar. Le Chili est le premier producteur au monde de ce gélifiant omniprésent dans les préparations culinaires. « Cette année, les prix sont bons : 65 pesos (0,10 €) le kilo de pelillo mouillé et 350 pesos (0,60 €) le kilo de sec. » Il existe une usine de transformation à Ancud, propriété d’un Chilien et une seconde sur le continent, près de Puerto Montt, une entreprise chilienne à capitaux japonais.
Un Coréen rêveur
Les secondes algues ramassées sont les algues rouges, luga negra et luga roja,dont sont extraits carraghénane et alginate, autres ingrédients épaississants indispensables en charcuterie et pâtisserie. 30 pêcheurs en récoltent annuellement 100 tonnes de produits secs, payées 350 pesos le kilo en début de saison et 500 (0,80 €) à la fin, quand l’algue a eu le temps de bien sécher malgré la pluviométrie très abondante de l’île.
La troisième est le luche, une algue très recherchée puisqu’elle sert à envelopper les sushis, et que les Japonais appellent nori. En 2000, «un Coréen rêveur» est venu s’installer et à ouvert un site de production et une usine pour produire du nori. Mais il y a laissé sa santé, puis la vie. « Il n’a jamais vraiment réussi à intéresser les pêcheurs locaux », affirme le responsable municipal en guise d’oraison funèbre. L’usine a fini par fermer et cet outil industriel est à l’abandon depuis 2006. « Ici, il y a le potentiel, les ressources, mais personne pour faire le lien. » C’est le constat qu’ont souvent fait les deux volontaires du Conseil général chargés de la coopération décentralisée sur l’île de Chiloé.
Yannick GUÉRIN.