Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
AFAENAC Association des Familles Adoptives d'Enfants Nés Au Chili

Peuple Mapuche - L'histoire du peuple de la terre (globalmagazine.info)

Blog de l'AFAENAC

©D.R.

Directeur du Musée d’art précolombien de Santiago au Chili, avocat, archéologue et anthropologue de formation, Carlos Aldunate étudie depuis 30 ans les Mapuche. Pour GLOBALmagazine, il résume les moments clés du combat des Mapuche, nom qui signifie « peuple de la terre ».

GLOBALmagazine. Lorsque les Espagnols arrivent sur ce territoire, les Mapuche représentent environ un million de personnes. Comment se passe cette rencontre ?

Carlos Aldunate. Les Mapuche que rencontrent les Espagnols, vivent dans le sud du Chili,  au sud de la rivière Bío-Bío où il pleut beaucoup et où les espèces des forêts endémiques sont à feuilles caduques (ailleurs ce sont des espèces à feuilles pérennes) comme le Roble (Nothofagus obliqua)… Ce type de végétation permet l’ensoleillement de la terre et la prolifération de baies, des fruits des bois, de champignons comestibles. Le Mapuche est un homme de la terre et des forêts. Il sait travailler le bois, le couper, et la plupart des objets traditionnels sont fabriqués en bois. Il chasse le huanaco (camélidé) et des animaux plus petits et cultive également la quinoa, le maïs, la pomme de terre, et bon nombre de céréales importés du Nord, des Andes de longue date.

A l’époque, les Mapuche ne vivaient pas comme les Incas, en communauté. Ils habitaient en famille, dans des maisons isolées les unes des autres. Et surtout, ils migraient d’un endroit à l’autre, car l’horticulture épuisait la terre et que, n’étant pas agriculteurs, ils ne savaient pas la fertiliser. Aujourd’hui, encore, ils vivent ainsi.

G.M. Est-ce que cette façon de vivre aura des conséquences sur la Conquista des Espagnols ? 

C.A. Oui. Les Espagnols n’ont jamais pu contrôler les Mapuches parce qu’ils ne vivaient pas en communauté. Contrôler des personnes qui vivent séparément, de manière très individualiste, c’est pratiquement impossible. S’ils avaient vécu dans un système social pyramidal, avec un roi, comme les Incas, leur Conquista aurait été plus facile. On peut dire, finalement, que la force des Mapuche, résidait dans la division. Mais ce qui fut fonctionnel à l’époque, les affaiblit aujourd’hui. 

G.M. A quel endroit les Espagnols ont-ils dû affronter les Mapuche ?

C.A. Les Espagnols sont descendus vers le sud de l’actuel Chili, en suivant la route qu’avait pris l’Inca pour conquérir ce territoire à la fin du XVe siècle. Ils sont arrivés ainsi au sud de Santiago, au Maule. Puis, lorsqu’ils sont arrivés dans les forêts, ils ont du faire face à une résistance de guérilla mapuche dans les bois. Voyageant à cheval, ils ont été ralentis, mais surtout désarmés par la végétation et les nombreux étangs.

G.M. Le premier soulèvement Mapuche a eu lieu à la fin du XVIe siècle…

C.A. Les Espagnols disaient en parlant de cette révolte que  « la terre s’était soulevée, très soudainement ». Le fait est que les Mapuche se sont unis en 1598 et qu’ils ont détruit sept villes espagnoles. Cet événement que l’histoire a appelé « le désastre de Curalava » mit fin à la progression espagnole à l’époque. Ce qui est intéressant c’est de voir que les Mapuche s’organisaient socialement d’une manière différente en temps de guerre et en temps de paix. Dès qu’une de guerre s'annonçait, ils nommaient un toqui, qui les commandait et les guidait. Mais dès que la guerre se terminait, le toquidisparaissait et les autorités de paix reprenaient leur place. Pour les Mapuche, la guerre est ponctuelle et mérite une institution qui possède du pouvoir lorsqu’il faut se battre, mais ils n’ont jamais eu de ministère de la guerre comme nos sociétés occidentales et ne se sont jamais armés comme nous, pour ne pas avoir à se battre.

G.M. Curalava est le début d’une longue guerre…

C.A. La guerre permanente qui s’est appelée « la guerre de la frontière » ou la « guerre de l’Araucanie », qui va suivre, durera environ 300 ans. Les Espagnols vont construire des forts dans toute la région mapuche. Chaque fort étant accompagné d’une missiondont le but est d’évangéliser. Entre guerre et paix, les Mapuche apprennent à cohabiter avec les Espagnols avec qui ils font du commerce. Les grandes guerres avaient lieu en été parce qu’en hiver il pleuvait trop. 

G.M Quelles sont les relations entre les Espagnols et les Mapuche?

C.A. A partir du XVIIe siècle, les Espagnols ne considèrent plus les Mapuche comme des ennemis, mais comme des étrangers. Ils s’adressent donc à eux comme à une nation différente, à travers des parlements où l’autre est considéré comme un « égal ». Le premier Parlement de Quilín, est créé en 1640. On y échangeait toujours beaucoup de cadeaux et les discours étaient solennels. Les Mapuche sont de très grands orateurs. 
Souvent, les Mapuche se rendaient de l’autre côté de la cordillère, du côté argentin, où ils avaient des parents, et où ils possédaient des chevaux sauvages, ceux que les Espagnols avaient apportés, et qui s’étaient reproduits en liberté, ainsi que des bovins qu’ils vendaient ensuite sur le marché. En échange, ils recevaient des monnaies d’argent leur servant à acheter toutes sortes d’objets et à fabriquer des bijoux.

G.M. Au moment de l’indépendance du Chili, au XIXe siècle, le Mapuche est extrêmement valorisé…

C.A. L’Espagnol n’avait pas réussi à contrôler les terres mapuche, alors, les indépendantistes ceux qu’on appelle aussi les patriotas, vont s’identifier aux Mapuche. Aux Mapuche rebelles qui s’étaient opposés à la Conquista. Sur l’emblème des indépendantistes figurent d’ailleurs deux Mapuche qui croisent leurs lances. En d’autres termes, pendant l’indépendance, l’indigène est un héros. Mais en vérité il ne s’agit là que d’un discours romantique. La réalité des Mapuche ne change guère pendant cette période. 

G.M. L’Etat chilien va pourtant les attaquer après 1850 ? 

C.A. La région mapuche divise le pays en deux et l’Etat chilien veut absolument mettre la main sur ces terres incontrôlables. Il va donc faire appel à des populations venues essentiellement d’Europe pour coloniser la zone au sud de la rivière Toltén, où étaient établies la plupart des missions et où les Mapuche étaient plus pacifiques. Les Mapuche restent maîtres du territoire compris entre les rivières Bío-Bío et Toltén. Au début, les colons sont surtout des Allemands, puis viennent des Basques français, des Espagnols et des Italiens et même des Hollandais. 
C’est à ce moment-là que surgit un discours opposé à celui des indépendantistes, dans la bouche d’un politique, Vicuña Mackenna, d’origine basque et irlandaise. Les Mapuche ne sont plus des héros, mais « des sauvages, des barbares qui ne font que boire, battre leurs femmes, les vendre... et qui plus est, sont polygames ! » Un discours que l’on entend encore aujourd’hui dans une certaine société chilienne… et qui se vend très bien à l’époque. Et qui permet à Vicuña Mackenna de légitimer l’occupation de l’Araucanie par les colons européens.

G.M. Les terres mapuche sont donc données aux gens. Mais sous quels prétextes ?

C.A.
 En fait, l’Etat dicte une loi en 1866, qui vise à remettre officiellement des terres aux Mapuche. La loi dit expressément qu’avant de coloniser, il faut leur donner ces titres dits « de Merced », pour assurer leur propriété. Sachant que le terme « merced » signifie que l’état considère qu’il leur fait un « cadeau » étant donné que les terres sont considérées comme « fiscales » parce qu’elles n’ont, selon la constitution chilienne, pas de propriétaire (rappelons que les Mapuche n’ont jamais « possédé » leur terre, suivant leurs croyances, respectueuses envers la nature : et que l’état a profité de ces croyances pour les exproprier, ndlr). 

Pour ce faire, les Mapuche doivent être recensés un par un. Le problème, c’est que la loi ne s’applique pas. C’est d’ailleurs une façon de fonctionner au Chili depuis le début de la colonisation espagnole où le représentant de la couronne d’Espagne annonçait ouvertement : " la ley se acata pero no se cumple",  la loi se dicte mais ne s’applique pas.
En effet, la loi ne sera appliquée que 30 années après avoir été édictée : les premiers titres de propriété n’ont été remis aux Mapuche qu’à partir de 1890, et pendant les 30 années qui se sont passées entre-temps, la région Mapuche a été distribuée aux colons et aux Chiliens. 

G.M. On parle de 90% du territoire mapuche distribué à ces colons et à des chiliens ? Sur 5 millions d’hectares, il en restait moins de 500 000 pour les Mapuche ?

C.A. Les colons européens, mais surtout les chiliens leur ont volé leurs terres à coup de tueries, d’incendies, de menaces et de coups bas en tous genres. Ce fut une période très douloureuse de notre histoire. Parce que l’Etat n’a pas protégé les Mapuche. Certes, il y avait la Commission radicadora et les Defensores de indígenas qui devaient, en théorie du moins, contrôler que les terres indigènes restent bien indigènes. Mais les responsables de ces organismes qui auraient pu protéger les indigènes étaient trop peu nombreux pour bien faire leur travail. Pour des questions bureaucratiques, la plupart des indigènes n’étaient pas défendus par ceux qui étaient là pour le faire. L’Etat a, certes, interdit de vendre les terres mapuche, de les hypothéquer ou de les donner à travers un testament, ou encore de les louer… mais les Chiliens et les colons parvenaient à les faire tourner en bourrique, à les enivrer pour leur acheter leurs terres à très bas prix. Et les Mapuche ont eu beau se révolter en 1881, l’armée les a matés.

G.M. Mais il y a pire…
C.A. Le pire c’est que les terres que les Mapuche ont obtenues en « Merced », leurs ont été volées au cours du XXe siècle par les voisins. Comme l’achat de terres indigènes était et reste illégal, ils les leur ont volées. Ils ont acheté sans pouvoir acheter, ont fini par régulariser les titres… en jouant sur le fait que nombreux Mapuche ne savaient ni lire ni écrire, et les ont peu à peu isolés sur les terrains les moins intéressants du point de vue économique. A l’époque de Pinochet, une loi les a même obligés à diviser les terres communautaires qu’ils avaient acquis au XIXe siècle, et qu’on leur avait interdit de vendre. 

G.M. Le combat pour récupérer leurs terres naît au XXe siècle…
C.A. C’est un combat on ne peut plus légitime. D’autant qu’ils font référence, la plupart du temps, non aux 5 millions d’hectares que l’Etat leur a volé au milieu du XIXe, mais aux terres dont l’Etat leur a remis les titres de propriété et qu’on leur a volées de manière éhontée, depuis. 

G.M. Aujourd’hui, peuvent-ils faire confiance à un Etat qui ne les a jamais protégés ?

C.A. Actuellement le Chili applique une économie de marché où la production régit tout. Alors, les descendants de ceux qui ont volé les Mapuche demandent à l’Etat de faire respecter leurs titres. Et lorsqu’un Mapuche veut récupérer ses terres ou s’il met le feu à la maison du propriétaire actuel (qui est un voleur, à ses yeux, même si c’est son descendant ou quelqu’un qui a acheté au voleur, ndlr), ou s’il lui vole trois troncs d’arbres, c’est immédiatement à l’Etat que fait appel celui qui dorénavant s’érige en « victime ». Le problème c’est que le gouvernement utilise une loi dite anti-terroriste (mise en place sous Pinochet, ndlr) contre des personnes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme : contre les Mapuche, mais aussi contre les étudiants ou les manifestants de la région d’Aysén (qui réclament la décentralisation, ndlr). C’est complètement absurde.

Entretien réalisé par Cristina L’Homme.

Commentaires