"Terremotos" : les rêves telluriques de Federica Matta (Maison du Chili - Paris 4) jusqu'au 7 novembre
Par María José Castaing.
Le 27 février dernier, Federica Matta n’était pas au Chili – elle était en Floride – et n’a pas vu tout de suite les photos du "terremoto" qui a secoué le pays. Elle a donc commencé à dessiner les images qu’elle ne voyait pas puis, rentrée à Paris, elle peint les images de ce bouleversement, et entre dans cette terre Mapuche qui ne cesse de trembler.
Elle avait suivi la même démarche pendant la première guerre du Golfe où les images vues à la télévision lui paraissaient "fausses" et elle avait réalisé un dessin par jour de ce qu’elle "voyait".
"Terremotos", au pluriel, car la terre tremble au Chili, mais il y a aussi les bouleversements politiques qui en entrainent bien d’autres. Des élections ont eu lieu en décembre 2009 et janvier 2010 qui ont conduit Sebastián Piñera à la tête du pays.
Au sud du Chili, 34 prisonniers politiques Mapuche, répartis dans six prisons, ont mené une grève de la faim pendant 82 jours pour faire connaître et aboutir leurs revendications. Victimes de la loi antiterroriste héritée de l’époque Pinochet, ils se battent ainsi que leurs familles pour dénoncer le mépris des autorités pour leurs revendications et le silence des médias. Des médias qui, par contre, ont fait connaître au monde entier la situation dramatique des 33 mineurs chiliens prisonniers des entrailles de la terre, dans une mine de l’Atacama au Nord du pays avant d’être "libérés" en direct devant des milliers de caméras du monde entier tandis que les prisonniers Mapuche risquaient leur vie dans une inacceptable indifférence. Federica peint un dessin par jour de grève qui a pris fin après qu’un accord ait été trouvé avec le gouvernement.
Federica participe à sa manière au monde et nous pouvons voir les 82 dessins comme un témoignage émotionnel de ce qui s’est passé, même si nous ne l’avons pas vu.
À côté d’une des sculptures un peu emblématiques de l’œuvre de Federica, "Lune-soleil", un magnifique texte poétique, "Sur de los Sueños", que son ami, l’écrivain chilien Luis Sepúlveda, lui a offert pour cette exposition en hommage aux rêves et aux habitants des terres du Sud. D’autres poètes chiliens l’ont inspirée, Pablo Neruda, Gabriela Mistral ou Carmen Yáñez.
Si l’on retrouve les couleurs et l’inspiration habituelle de Federica, sa peinture est devenue plus profonde, plus grave, et moins ludique, elle nous invite à réfléchir, à réagir, elle nous interpelle. Malgré les drames vécus, "Aún creemos en los Sueños", les rêves nous permettront de vivre.
20 ans de retrouvailles
Depuis le début des années 90, Federica travaille avec et pour le Chili. Les 22 sculptures-jeux de la Plaza Brasil, conçues pour et en collaboration avec la Municipalité de Santiago en 1991, ont été inaugurées en novembre 1993. En 2004, avec les habitants de Regoli (sud de Temuco), elle rend hommage à la Trentren et la Caicai, les serpents de la cosmogonie Mapuche en créant une aire de jeux pour les enfants.
En 2006 la ville de la Serena
continue le « Chemin des Fleurs » commencé à Montpellier avec 12 sculptures-fleurs.
En novembre 2009, les habitants de Quilpué peignent avec elle 16 fresques installées dans la station de Métro pour célébrer la création de la nouvelle province Marga Marga.
Réunies dans une vitrine, les maquettes des sculptures-jeux de la Plaza Brasil nous rappellent que vingt ans se sont écoulés depuis la réalisation de ce projet qui fait partir de ce que Federica appelle "acupuncture urbaine" : « Depuis toujours j’ai observé comment la ville joue avec ses enfants ; comment elle les initie à différents points de vue, à des points de vie qui sont des passages. Lentement l’Art dans la ville a commencé à se concevoir en moi comme une sorte d’acupuncture qui par la forme et la couleur réveille, stimule des zones d’énergie ».
Un autre volet de l’exposition, ce sont plusieurs dessins originaux qui ont servi à la réalisation d’affiches, pour le soutien au peuple Mapuche ou pour des soirées organisées dans le but de récolter des fonds afin de venir en aide aux victimes du tremblement de terre, "Todos somos Mapuche", "Fuerza Chile. La tierra somos todos." Certaines de ces affiches ont d’ailleurs été distribuées en supplément à l’édition chilienne du Monde Diplomatique.