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AFAENAC Association des Familles Adoptives d'Enfants Nés Au Chili

« Toxic Playground » primé au Figra : arsenic et jeunes Chiliens Par Nolwenn Le Blevennec | Rue89 |

Blog de l'AFAENAC

(Du Touquet) Chili, ville ensablée d'Arica à la frontière du Pérou. Le réalisateur Lars Edman, 23 ans, prête son micro à Jocelyn, jeune ado. Elle pose des questions, comme une journaliste, et oublie quelques minutes ce que le plomb a fait à son corps.

Visiblement ils s'adorent. Lars, qui apparaît à l'image tout le long du film, est venu au Chili pour trouver des explications à son mal être à elle. Enfin quelqu'un s'y intéresse.

Samedi soir, le documentaire de Lars Edman cosigné avec William Johansson a remporté le grand prix du Festival international du grand reportage (Figra), dont Rue89 est partenaire. (Voir la vidéo)


 

Jocelyn a douze ans. Elle a dû arrêter la danse du ventre, une passion, à cause de fortes douleurs aux hanches et aux os. Son médecin se demande même si elle ne va pas être paralysée des deux jambes, plus tard.

Ses voisins vivent plus ou moins le même calvaire. Un jeune fille du quartier raconte que son frère a constamment « l'impression d'étouffer ». Il ne dort plus la nuit.

Lars recueille aussi le témoignage de jeunes femmes : le fils de l'une d'elle souffre d'une malformation cardiaque (il a failli mourir), l'autre a perdu son enfant en couche « comme beaucoup d'autres filles ici ».

Petites poupées de plomb

Responsable de la santé dévastée des habitants : des montagnes de sable noir.

Durant plusieurs années, les enfants de ce quartier pour familles défavorisées ont joué dans « ces monticules », creusant des trous ou faisant de petites figurines avec, comme si c'était de la pâte à modeler.

Personne ne savait alors que ce sable était rempli d'arsenic et de plomb, déchets toxiques provenant d'une société minière suédoise (à côté de laquelle, le réalisateur Lars Edman a grandi).

Les boues de métaux ont été déplacées en 1998, quand le scandale a éclaté, mais les maisons des alentours sont encore contaminées. Comment ces déchets toxiques originaires de Suéde ont-ils atterris ici ? Lars Edman, Chilien adopté par un couple suédois, cherche une réponse, en pantalon baggy.

Hop, bon débarras

Il nous emmène chez lui en Suède, devant l'usine Boliden, celle qui a produit les déchets. La direction refuse de le recevoir. Mais à Stockolm, il apprend pourquoi ces résidus, autrefois stockés, ont traversé l'Atlantique : au début des années 80, des lois environnementales suédoises ont durci les modalités de stockage des déchets toxiques.

La mise en décharge ne suffisait plus. Plutôt que de revoir ses installations, la société suédoise décide alors d'exporter ses déchets à l'autre bout du monde. L'usine chilienne Promel jure être capable de les retraiter dans des fours (laConvention de Bâle, qui interdit ce type de transferts, n'est pas encore signée).

La société suédoise enverra donc ces déchets là-bas : hop, bon débarras.

Glandes mammaires autour du nombril

Celui qui prend cette décision s'appelle Rodolf Vedler. Face à Lars Edman, l'ancien directeur environnemental de la société assure avoir fait son devoir : deux voyages au Chili pour inspecter les installations. Convaincu, il leur a versé 1,2 millions de dollars et les cargos remplis de tonnes de déchets ont pu commencer leur allers-retours.

Les déchets, probablement jamais traités, seront finalement laissés à l'abandon, à l'air libre, par l'usine chilienne. Un ancien employé :

« C'est une sale affaire d'escroquerie. Ils ont fait venir des déchets pour prendre l'argent. Les cheminées n'ont jamais utilisées. »

 

Rodolf Vedler accepte d'accompagner Lars Edman au Chili, pour constater le désastre. Devant lui, la mère de Jocelyn pointe du doigt sur le corps de sa fille les endroits où des glandes mammaires ont été retirées, tout autour du nombril. L'ancien directeur environnemental se décompose.

« Cela ne me quittera pas »

L'usine Promel a été démolie quelques années après la révélation du scandale. Les anciens dirigeants ont monté une autre société, Quilborax. Lars et Rodolf s'y rendent. Ils sont bloqués à l'entrée (Rodolf n'en revient pas de leur impolitesse). De leur part, il n'y aura pas de mea culpa.

Lars Edman revient donc à la charge avec Rodolf (auquel on a fini par s'attacher) : quand même n'était-ce pas naïf de penser que le Chili était en mesure de retraiter des tonnes de déchets en 1984, alors que la junte militaire était au pouvoir ?

Tout au long du docu, on sent sa tristesse du directeur environnemental monter :

« Cela ne me quittera jamais […]. Je ressens une profonde colère d'avoir eu un rôle dans une affaire aux conséquences aussi désastreuses. »

 

Des médecins en business-class

Un jeune Chilien (qui pourrait légitimement et physiquement le casser en deux) essaye de le réconforter :

« C'est bien que vous soyez revenu, c'est comme ça qu'on soulage la conscience. »

 

L'Etat chilien a versé des indemnités à 353 personnes, mais Jocelyn n'a rien eu. Promel a été « dessaisie de ses actifs » au cours du procès et n'a pas versé un centime.

L'usine suédoise Boliden n'a jamais envoyé les experts médicaux qu'elle avait promis aux habitants d'Arica– le devis, prenant en compte le voyage en business-class des médecins, jugé trop élevé. En 2007, elle a réalisé un chiffre d'affaire de 464 millions de dollars.

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