J’ai le sentiment que mes origines n’ont pas été respectées. Du coup, j’ai eu beaucoup de mal à me projeter dans le futur. (abandon-adoption.hautetfort.com/)
Marie-Thérèse Gasp, aussi connue sous le nom de Dominique Foucher, fait partie des enfants réunionnais déplacés entre
1966 et 1970 dans la Creuse, dans le cadre d’un programme destiné à repeupler les campagnes. Elle raconte les démarches entreprises pour en savoir plus sur ses origines.
A 35 ans, j’ai découvert l’histoire des Réunionnais de la Creuse grâce à un article de Marc Pivois dans le
journal Libération : "Adoptés contre leur gré
Enfants créoles perdus dans la Creuse". Il m’apportait la réponse à la question que je me posais depuis toujours : qu’est-ce qu’une enfant réunionnaise comme moi faisait à la Ddass de la
Creuse en 1966 ? Je savais que j’avais été adoptée, par la famille Foucher, en 1967. Mais je n’en savais pas plus sur mon histoire.
Après avoir lu cette enquête, j’ai consulté mon dossier d’adoption. Au début, le personnel de la Ddass ne me
photocopiait que certaines pièces. Au bout de la la troisième consultation, j’ai enfin pu accéder à l’ensemble de mon dossier et procéder moi-même aux reproductions. Mais il y a des pièces
manquantes, et je ne peux pas être certaine qu’elles n’ont pas été retirées du dossier. Les employés ne s’expliquent cette disparition.
Je m’appelais en réalité Marie-Thérèse Gasp
C’est dans ce dossier que j’ai découvert que je m’appelais en réalité Marie-Thérèse Gasp. Comme je
connaissais mon nom d’origine, je pouvais enfin me mettre à la recherche de ma famille réunionnaise. J’ai retrouvé ma mère en 1999. Elle m’a contactée par téléphone. Au départ, j’étais méfiante.
Son fils, Julius, m’a expliquée qu’elle lui avait un jour confié avoir eu un premier enfant, une fille, en 1963. Par la suite, j’ai reçu des photos d’elle. La ressemblance entre nous deux était
trop frappante pour être une simple coïncidence.
J’ai appris que ma mère naturelle m’avait confié à un foyer tenu par des religieuses, La Providence, à l’âge
de six semaines. A 3 ans, le foyer ne pouvait plus me garder. J’ai donc été expédiée dans la Creuse. Entre 1966 et 1967, j’ai fait des allers-retours entre un foyer, dans lequel je vivais avec
d’autres enfants réunionnais, et une ferme, où je tenais compagnie à une vieille dame à la retraite.
En 1967, la famille Foucher cherchait à adopter un troisième enfant, de préférence réunionnais. Ils ont donc
contacté la Ddass de la Réunion, qui les a renvoyés vers celle de la Creuse, où étaient inscrits plusieurs enfants originaires de l’île. Mes parents adoptifs, qui habitaient la Sarthe, ne se sont
pas trop demandé pourquoi ils étaient là, ou bien ils me l’ont caché.
Pendant ce temps-là, à La Réunion, ma mère me réclamait auprès de l’institut religieux qui gérait La
Providence. Elle n’avait jamais compté m’abandonner, et m’y avait placé temporairement parce qu’elle était malade. On lui a répondu que j’étais désormais en France. Pourquoi ces instituts
n’ont-ils rien dit, alors qu’ils assistaient à une hemorragie de jeunes enfants vers la métropole ? Quand je leur pose la question, ils me répondent : « On n’était pas au courant. » Je pense
qu’ils ont fermé les yeux.
J’essaye actuellement de reconstituer le puzzle de ma vie. J’aimerais savoir, par exemple, si l’enquête
réalisée avant que l’on me juge abandonnée a réellement été menée et, si oui, comment. Pour moi, cette histoire ne repose pas seulement sur un dysfonctionnement administratif, c’est aussi une
affaire de morale.
L’Etat n’a pas cherché à comprendre les familles réunionnaises. A cette époque, les habitants de l’île, qui
ne savaient souvent ni lire ni écrire, faisaient ce que les autorités leur disaient de faire. Il signaient d’une croix des papiers administratifs stipulant qu’ils abandonnaient leurs
enfants.
Je suis fatiguée de cette histoire. Souvent, au moment où on pense atteindre la vérité, tout s’écroule et on
doit recommencer à recouper les dates. Les documents sont mal dactylographiés, les dates approximatives. Du coup, je privilégie le terrain : les gens acceptent de me parler, surtout à La
Réunion.
Ma mère adoptive, elle, ne veut plus me voir. Elle n’accepte pas que je me fasse appeler Marie-Thérèse Gasp.
Elle n’a jamais compris pourquoi j’étais retournée à La Réunion. Elle a merdé.
J’attends que l’Etat reconnaisse ses torts
J’ai le sentiment que mes origines n’ont pas été respectées. Du coup, j’ai eu beaucoup de mal à me projeter
dans le futur. Je ne parvenais pas à aller au bout de mes projets, qui m’éloignaient de ma quête, celle de la vérité sur mes origines.
Je voudrais comprendre qui je suis. C’est pourquoi j’ai écrit un roman qui raconte l’histoire d’une petite
fille dans un orphelinat. Je cherche actuellement un co-éditeur pour pouvoir le publier non seulement à la Réunion, mais aussi en France.
En attendant, j’intente un procès à des représentants de l’Etat. Les autres Réunionnais de la Creuse ont
essayé le tribunal administratif. Depuis dix ans, leur affaire n’est toujours pas réglée. C’est pourquoi je me suis tournée vers un tribunal pénal. J’attends avant tout que l’Etat reconnaisse ses
torts.
Source: Rue89 | 2 avril 2012
- Les «enfances perdues» de l’Australie et de la Réunion.
Entretien avec Ivan Jablonka, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université du Maine,
chercheur associé au Collège de France.
Source: L'Observatoire des questions sexuelles et raciales | 17.11.2009