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AFAENAC Association des Familles Adoptives d'Enfants Nés Au Chili

Les 33 mineurs de San José à l’heure de la mondialisation médiatique

Blog de l'AFAENAC
14 octobre 10 - Tous les ingrédients d’une épopée universelle étaient réunis à San José. Regards de spécialistes.

Angélique Mounier-Kuhn/Le Temps -

 

Elles sont absolument toutes là. Depuis l’aube mercredi, les grandes chaînes d’informations donnent à suivre en temps réel aux spectateurs du monde entier les évacuations des 33 mineurs de San José.

L’intérêt des médias n’a pas faibli depuis le 22 août, date à laquelle la survie de ces hommes a été établie et a entretenu une vague d’empathie planétaire qui fera date. « Les accidents de mine connaissent une certaine médiatisation parce qu’ils relèvent de la grande mythologie minière et parce qu’ils confrontent l’homme à la nature », relève Arnaud Mercier, professeur en information et communication aux Universités de Genève et de Metz. D’après ce ­spécialiste, toutes les circonstances étaient réunies pour transformer l’histoire des rescapés de San José en épopée universelle et captivante : « Les capacités technologiques actuelles nous ont permis de les voir, dans leur « tombeau ». Le suspense était intense, les images formidables et la capacité d’impact de la télé a été démultipliée par Internet. C’est comme si un magnifique récit, déjà scénarisé, avait été livré sur un plateau aux journalistes. »


Compassion mondialisée

Mais, « pourquoi cet événement, dans une petite mine du fin fond du Chili a transcendé tous les autres, alors que ce sont des événements apocalyptiques, des cataclysmes ou des attentats, qui suscitent une ­compassion mondialisée ? s’interroge Paul Rasse, anthropologue de la communication. Il s’agit d’une résurrection, d’entre les morts, depuis l’enfer ». L’enfer étant, selon lui, « la mine, la cupidité qui a obligé les hommes à aller si profond au mépris des règles de sécurité », et le « miracle, celui de la technoscience ».

Armand Mattelard, spécialiste de la communication mondialisée et fin connaisseur du Chili, jette un regard plus pragmatique sur le drame vécu à San José. Selon lui, la « sensasionnalisation » – « qui contraste avec la piètre couverture d’autres événements douloureux au Chili comme la révolte des Indiens Mapuche » – l’a déconnecté de son contexte national. Or celui-ci a son importance. « Alors que le Chili fête cette année le bicentenaire de son indépendance, le président Sebastián Piñera (ndlr : investi en mars passé), ancré à droite, a mis à profit cet accident pour toucher une classe sociale qui n’avait pas voté pour lui. Tout d’un coup, la classe populaire ouvrière, d’ordinaire peu visible, a émergé dans les médias », rappelle-t-il.


Instrumentalisation

S’il refuse d’accréditer l’idée de « machiavélisme ou de manipulation », il pose néanmoins la question de « l’instrumentalisation des médias ». « Le gouvernement chilien en a fait des tonnes », acquiesce Arnaud Mercier. Mais plutôt qu’une manipulation par le politique, ce dernier évoque la mise en place d’une « boucle interactive » : « Les médias se sont intéressés à ce drame national. Le gouvernement, lui, avait besoin de communiquer à son opinion publique. En constatant l’écho médiatique, il en a rajouté et transformé ­l’affaire en un élément de communication internationale. Il a compris que la réputation du Chili pouvait se jouer là. »

Une affaire d’intérêt bien comprise en somme, dans laquelle les médias internationaux, qui hantent le camp Espérance depuis des semaines, ont trouvé leur compte. « Toute couverture en direct génère une dramatisation, une saga, dont on sait qu’elles sont vendeuses d’audience à bon compte sur le dos de la souffrance humaine », constate Jocelyne Arquembourg, maître de conférence à l’Institut français de presse, à Paris. Encore que cette fois-ci, poursuit-elle, « on peut se féliciter que les héros soient des mineurs et non des people ou des privilégiés et que cette saga convoque des valeurs humaines universelles ».

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