Les 33 mineurs de San José à l’heure de la mondialisation médiatique
Angélique Mounier-Kuhn/Le Temps -
Elles sont absolument toutes là. Depuis l’aube mercredi, les grandes chaînes d’informations donnent à suivre en temps réel aux spectateurs du monde entier les évacuations des 33 mineurs de San José.
L’intérêt des médias n’a pas faibli depuis le 22 août, date à laquelle la survie de ces hommes a été établie et a entretenu une vague d’empathie planétaire qui fera date. « Les accidents de mine connaissent une certaine médiatisation parce qu’ils relèvent de la grande mythologie minière et parce qu’ils confrontent l’homme à la nature », relève Arnaud Mercier, professeur en information et communication aux Universités de Genève et de Metz. D’après ce spécialiste, toutes les circonstances étaient réunies pour transformer l’histoire des rescapés de San José en épopée universelle et captivante : « Les capacités technologiques actuelles nous ont permis de les voir, dans leur « tombeau ». Le suspense était intense, les images formidables et la capacité d’impact de la télé a été démultipliée par Internet. C’est comme si un magnifique récit, déjà scénarisé, avait été livré sur un plateau aux journalistes. »
Compassion mondialisée
Mais, « pourquoi cet événement, dans une petite mine du fin fond du Chili a transcendé tous les autres, alors que ce sont des événements apocalyptiques, des cataclysmes ou des attentats, qui suscitent une compassion mondialisée ? s’interroge Paul Rasse, anthropologue de la communication. Il s’agit d’une résurrection, d’entre les morts, depuis l’enfer ». L’enfer étant, selon lui, « la mine, la cupidité qui a obligé les hommes à aller si profond au mépris des règles de sécurité », et le « miracle, celui de la technoscience ».
Armand Mattelard, spécialiste de la communication mondialisée et fin connaisseur du Chili, jette un regard plus pragmatique sur le drame vécu à San José. Selon lui, la « sensasionnalisation » – « qui contraste avec la piètre couverture d’autres événements douloureux au Chili comme la révolte des Indiens Mapuche » – l’a déconnecté de son contexte national. Or celui-ci a son importance. « Alors que le Chili fête cette année le bicentenaire de son indépendance, le président Sebastián Piñera (ndlr : investi en mars passé), ancré à droite, a mis à profit cet accident pour toucher une classe sociale qui n’avait pas voté pour lui. Tout d’un coup, la classe populaire ouvrière, d’ordinaire peu visible, a émergé dans les médias », rappelle-t-il.
Instrumentalisation
S’il refuse d’accréditer l’idée de « machiavélisme ou de manipulation », il pose néanmoins la question de « l’instrumentalisation des médias ». « Le gouvernement chilien en a fait des tonnes », acquiesce Arnaud Mercier. Mais plutôt qu’une manipulation par le politique, ce dernier évoque la mise en place d’une « boucle interactive » : « Les médias se sont intéressés à ce drame national. Le gouvernement, lui, avait besoin de communiquer à son opinion publique. En constatant l’écho médiatique, il en a rajouté et transformé l’affaire en un élément de communication internationale. Il a compris que la réputation du Chili pouvait se jouer là. »
Une affaire d’intérêt bien comprise en somme, dans laquelle les médias internationaux, qui hantent le camp Espérance depuis des semaines, ont trouvé leur compte. « Toute couverture en direct génère une dramatisation, une saga, dont on sait qu’elles sont vendeuses d’audience à bon compte sur le dos de la souffrance humaine », constate Jocelyne Arquembourg, maître de conférence à l’Institut français de presse, à Paris. Encore que cette fois-ci, poursuit-elle, « on peut se féliciter que les héros soient des mineurs et non des people ou des privilégiés et que cette saga convoque des valeurs humaines universelles ».